Nous les syndics marseillais, soyons à la hauteur

Lundi 5 au matin, nous avons tous été pris d’effroi.

Au fur et à mesure, nous avons compris que le pire avait bien eu lieu.

Nous qui gérons et entretenons ces immeubles du centre-ville, nous dont c’est le métier nous avons pris cette nouvelle en pleine gueule, car nous n’imaginions pas que cela soit possible.

Cela nous a fait peur. Cela a fait peur à nos équipes, à nos clients.

Nous ne passions plus rue d’Aubagne ou alors très occasionnellement, car nous ne gérons plus d’immeubles ou d’appartement rue d’Aubagne, rue Jean Roque ou rue du musée. Nous sentions que nous ne pouvions pas les gérer normalement. Nous sentions que la situation pouvait nous échapper.

Malgré les barrières érigées pour sécuriser notre travail, à maîtriser l’information, nous aurions pu être syndic d’un de ces immeubles.

Tout le monde savait et cela durait depuis 30 ans :


Tout le monde savait que ces immeubles étaient mal construits, mal entretenus, s’appuyaient les uns sur les autres et étaient difficiles à gérer.
Tout le monde savait que certains propriétaires bailleurs de ces immeubles étaient les plus « rapaces » ou les plus pauvres.
Tout le monde savait que ce quartier s’est vidé de la plupart des « propriétaires occupants responsables » à cause de la saleté et des dealers installés depuis 15 ans (je ne sais si cela continuait ces derniers mois)
Tout le monde savait que les délais de l’administration ne sont pas adaptés à ces situations et qu’ils n’aident en rien les acteurs.
Bref, tout le monde savait et nous n’avons rien fait si ce n’est fuir la gestion de ces immeubles pour échapper à ces situations que nous redoutions.


Donc maintenant nous savons que :

  • Ces immeubles sont en très mauvais état.
  • Les OPAH, PRI des 20 dernières années n’ont eu qu’une utilité très relative.
  • Un immeuble vide (squatté ou pas) est un danger, car il n’est pas entretenu et doit être géré avec encore plus de précautions.
  • L’embauche du copain du copain dans tous les services des collectivités territoriales et les sociétés HLM mine la responsabilité et ne favorise pas la compétence.
  • Villes, HLM, copropriétaires, syndic, experts judiciaires n’ont à aucun moment anticipé un enchaînement de causes qui ont conduit à cette catastrophe.
  • Un propriétaire, en l’occurrence une société d’HLM publique peut ne rien faire pendant 10 ans sur un immeuble, car elle ne se sent pas responsable de cet argent qui lui est confié, qu’elle n’est pas soumise à la contrainte du temps.
  • Nos règles d’urbanisme favorisent le statu quo, car elles ne prennent pas en compte la situation de pauvreté et bloquent les projets éventuels de rénovation ou y mettent des contraintes qui rendent ces projets non viables. Donc rien ne se passe.
  • Personne n’a pris en compte la pauvreté dans nos réglementations et ses conséquences en terme de gestion.
  • Un immeuble peut avoir 5 ou 6 arrêtés de périls en 20 ans tout comme un délinquant 42 inscriptions à son casier judiciaire, sans qu’aucun suivi ne soit fait, sans que personne ne soit alerté, sans que personne ne s’en inquiète.
  • Dans un immeuble fragile, les propriétaires ont le choix de reporter des travaux.
  • La lenteur des procédures administratives, judiciaires, des expulsions, des expropriations, des expertises est probablement la principale cause de cette catastrophe.
  • Ces appartements dans des immeubles en mauvais état sont « refilés » de propriétaire en propriétaire comme des patates chaudes à se débarrasser dont les plus naïfs ou les plus rapaces croient bénéficier et en ont bénéficié.

Les solutions ne peuvent être que la responsabilité et la transparence :

  • L’information sur les arrêtés de périls ne doit plus s’oublier. Elle doit être tracée. Tout comme, il faut tracer la nature de l’arrêté de péril, les travaux entrepris, les factures et les assurances des entreprises.
  • Les propriétaires ou copropriétaires ne doivent plus avoir le choix de refuser ou de reporter les travaux d’entretien sous des prétextes bidons pour échapper à leurs obligations.
  • Nous devons pouvoir contraindre une copropriété ou un propriétaire qui a eu plus d’un arrêté de péril dans les 10 années passées, à engager une inspection ou à réaliser tous les deux ans un diagnostic (pourquoi pas un Diagnostic Technique Global dont nous attendons les décrets d’application depuis des années) par un ingénieur structure aux frais des propriétaires pendant les 10 prochaines années
  • Nous syndic, devons avoir les moyens (sans passer par une procédure judiciaire) de débloquer rapidement les fonds des travaux, même quand il y a de mauvais payeurs ou des copropriétaires qui n’ont pas les fonds dans ces petits immeubles.
  • Nous devons pouvoir imputer ces frais d’expertise sur les propriétaires sur simple dire d’expert sur le propriétaire à l’origine des sinistres (car aujourd’hui cela coûte 5 à 6 000€ et dure 3 à 5 ans). Sinon, la non responsabilité est favorisée
  • Nous devons être contraint de certifier lors de chaque vente si la copropriété n’a pas eu d’arrêtés de périls les 10 dernières années chaque année
  • Nous devons donner notre avis sur l’état du bâtiment, son état de conservation et d’entretien quand nous transmettons le dossier à nos successeurs

    L’autre solution serait de tout détruire et de tout reconstruire. Elle est certainement à méditer et à étudier de près selon l’état des immeubles et leur positionnement. Tout rénover serait une erreur. Tant que certains souhaitent « muséifier » nos villes, cette solution sera écartée comme est écartée la destruction des grandes cités-supermarchés de la drogue.


Certains attendent tout de la puissance publique. Ils croient qu’il y a encore des fonds pour intervenir sur ces sujets. Nous non.


Pour synthétiser et finir :


L’immobilier est le secteur le plus régulé + notre ville est également l’une des plus pauvres + certains immeubles dans les mauvais quartiers de son centre-ville sont en mauvais état + Marseille est la métropole la plus écrasée d’impôts locaux + certains immeubles dans les mauvais quartiers de son centre-ville sont en mauvais état + leur état ne cessera de s’aggraver avec leur âge + les acteurs de contrôle sont des administrations + nous sommes dans une logique de non-responsabilité des locataires, des propriétaires et des professionnels =
Les politiques doivent donner le cadre, mais c’est à tous les acteurs d’être responsables et responsabilisés.


C’est notre responsabilité de trouver des solutions, de nous engager avec ceux qui ont le courage de s’y investir.


Pour finir, j’ai été choqué par ces extrêmes des réseaux sociaux qui se servent de cette catastrophe pour imposer leurs avis politiques, leurs petits intérêts individuels et partisans sans aucune mesure dans leurs propos. Ils ne cherchent qu’à diviser ou à faire monter la haine. Je me suis même fait piéger parfois par la colère en leur répondant.


Je préfère donc m’intéresser aux solutions concrètes de terrain plutôt qu’aux aboiements stériles.
Seules ces solutions concrètes feront que Marie-Emmanuelle, Fabien, Simona, Julien, Taher, Niasse, Cherif et Ouloume ne seront pas morts pour rien. Soyons à la hauteur de leur mémoire.

Crédit Photo Laure Pecquet

Commentaires

  • Stéphane Pujol 17 novembre 2018

    merci Jean Louis

  • Ribéro 17 novembre 2018

    Malgré l'horreur de ce qui passé, Bravo d'avoir eu le courage d'apporter les précisions nécessaires à notre compréhension, en mettant tous les responsables devant leurs responsabilités.

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