S'engager quand on est gestionnaire syndic: entre péril et impayés sur une petite copropriété
- Le marché immobilier à marseille
- 06 juin 2025 | Caroline Pujol
Dans cet immeuble du XVIII e siècle situé 35 cours Franklin Roosevelt dans le 1 er arrondissement de Marseille, il y a presque 200 000 € de travaux (5 copropriétaires) à effectuer pour sortir la copropriété du péril et la remettre en état.
Aileen Orain gère cette copropriété un peu particulière.
Elle nous explique comment elle a relevé ce défi, de la remise en état de l’immeuble face à l’inaction de certains, et avec trois autres immeubles mitoyens impliqués.
Chronologie des événements
Aileen : C’est une petite copropriété de quatre étages que l’Immobilière Pujol a reprise en 2020, avec
cinq copropriétaires dont un très gros débiteur.
À la reprise nous avions déjà repéré un trou dans un balcon, des fissures obliques… Nous avons dépêché un bureau d’études pour faire un diagnostic structure.
Le premier rapport n’était pas dramatique.
Nous avons alors demandé les premiers devis, puis la réalisation des premiers travaux d’urgence : étaiement des caves, réfection des canalisations enterrées…
Cependant, nous n’étions pas les seuls impliqués !
Dans cette rue très en pente, notre immeuble tient avec trois autres : le 31, le 33 d’un côté, et le 37 de l’autre. Au fur et à mesure, nous nous sommes aperçus que tous ces immeubles très anciens avaient des problèmes dus à l’instabilité des sols, avec des désordres plus ou moins graves selon les bâtiments mais liés entre eux, avec notamment des fissures traversantes entre les murs mitoyens.
Dans un deuxième temps, nous avons découvert un mur en compression chez notre copropriétaire défaillant du rez-de-chaussée et cela était un signe grave. Sans attendre, des étais ont été posés et le locataire évacué.
Dès lors, nous avons contacté les autres syndics, mais d’entrée nous avons perçu des points de blocage.
En janvier 2022 les services de la Ville passent et prononcent une « mise en sécurité » sur tous les immeubles.
Les appartements ne doivent pas être évacués, mais il y a urgence à réaliser les travaux.
La mise en sécurité a suspendu le paiement des loyers des locataires à leurs bailleurs.
Si l’immeuble du 33 se met rapidement en ordre de marche, le 37 traîne carrément des pieds. Le 31, lui, ne sera mis dans la cause que plus tardivement.
Tout cela a considérablement ralenti l’avancée des travaux.
Pourquoi des réticences ou beaucoup de temps perdu puisque l’Agence nationale de l’habitat finance a priori ce genre de travaux ?
Aileen : Pour plusieurs raisons :
• Il faut d’abord faire voter les travaux et les études en assemblée générale puis lancer les appels de fonds.
• Le temps de montage du dossier avant d’envoyer la demande de subvention à l’ANAH car si on oublie des travaux dans la liste, il est compliqué de les faire prendre en charge par la suite.
• Vous avez également parfois des copropriétaires qui attendent que ce soient les autres copropriétaires
qui fassent l’avance à leur place. Ils savent que lorsque la subvention va tomber leur compteur de fonds travaux sera quasiment soldé par la subvention, alors ils jouent la montre.
• Et dans notre immeuble nous avions un copropriétaire qui ne payait ses charges depuis déjà longtemps et qui possédait le plus de tantièmes.
Ça et le fait qu’il soit défaillant nous empêchaient aussi de solliciter un prêt bancaire pour les travaux.
Vu que son locataire avait quitté l’appartement suite à la mise en sécurité, nous avons fait voter la saisie immobilière et la vente de son bien pour rembourser sa dette et financer sa quote-part de travaux.
Mais vendre un bien dans un immeuble en péril est plus que compliqué et en cas d’enchères infructueuses, c’est à la copropriété de racheter le lot.
Est-ce que vendre le bien de ce copropriétaire défaillant était le seul moyen de récupérer l’argent qu’il vous doit ?
Probablement, oui. Ce copropriétaire a été condamné une fois, puis recondamné plus lourdement alors
qu’il avait fait appel. Il n’empêche qu’avec une dette de charges de 23 000 € et le 45 000 € d’appels de fonds travaux impayés ne sont toujours pas réglés aujourd’hui.
À ce stade de l’affaire, vous vous retrouviez donc toujours bloqués par cet impayé pour démarrer les travaux ?
Nous étions en tout cas coincés pour les mener à terme et pouvoir lever la mise en sécurité sans un appel de fonds de trésorerie supplémentaire auprès des copropriétaires.
Sachant que certains copropriétaires étaient déjà au bout de leurs capacités de financement.
Et c’est à ce moment-là que, sur les conseils de la Ville, on tente une procédure dite «de substitution» : c’est un dispositif par lequel la Ville se substitue au copropriétaire défaillant, charge à la commune de recouvrer ensuite les sommes avancées.
Ce dispositif nécessite de produire un dossier très complet et très complexe, qui est vérifié à la virgule près. Mais après plus de trois mois d’allers-retours avec les services, notre dossier a abouti et a permis de financer l’ensemble des travaux.
Au regard de votre expérience, quelles conclusions tirez-vous de cette décision, qui
de ce que je comprends est assez nouvelle ?
Oui en effet, c’est en tout cas la première fois que nous obtenons que la Ville se substitue à un copropriétaire défaillant. Nous l’avions déjà demandé pour une autre affaire mais n’avions jamais reçu de réponse.
Pour le 35 cours Franklin Roosevelt, c’est l’ingénieur de la Ville qui assurait le suivi de l’immeuble qui nous a suggéré de déposer la demande. Je pense qu’il a vu qu’on pouvait répondre aux critères et qu’on était capables de monter ce dossier, qui demande un travail de fourmi.
Que se serait-il passé sinon ?
Il aurait fallu faire un appel de fonds copropriétaire défaillant, c’est-à-dire faire payer sa quote-part aux autres copropriétaires.
Et si ces derniers n’avaient pas pu payer, la Ville se serait alors substituée au syndicat des copropriétaires pour faire réaliser les travaux d’office et le syndicat aurait perdu son droit aux subventions de l’ANAH.
Dans un tel cas de figure, la Ville peut même aller jusqu’à acquérir l’immeuble si la copropriété ne la rembourse pas.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Terminer les travaux et de faire lever la mise en sécurité.
Nos copropriétaires ont été très patients mais commencent à trouver le temps long. Avec tous ces retards, les coûts des matériaux ont augmenté par rapport aux devis initiaux.
L’assurance multirisque de notre immeuble a été multipliée par quatre tant que le péril subsiste.
Aujourd’hui le budget annuel de la copropriété est de 14 000 € alors qu’il était de 7 000 € en 2021…
Dans un cas de figure de ce type, les copropriétaires qui perdent des mois de loyers du fait de l’inertie d’autres copropriétaires peuvent aussi assigner ces derniers.
Nous-mêmes avons perdu de l’argent puisque nous n’avons évidemment pas facturé à nos copropriétaires toutes les heures passées à gérer le dossier au bénéfice des autres immeubles.
Vous êtes allés un peu plus loin que votre rôle de syndic…non?
Je dirais qu’on a cherché toutes les solutions possibles pour nos copropriétaires qui, hormis celui du rez-de-chaussée, nous ont suivis.
Et nous les remercions pour leur confiance.
Quand on a un problème structurel comme celui de ces immeubles il n’y a pas 36 solutions : il faut réussir à effectuer les travaux, et à bien les faire.
Une fois qu’on y arrive, en tant que syndic on est contents que nos clients soient contents.
On est fier de nous aussi.
C’est un succès qui se mérite et beaucoup de personnes ne se rendent pas compte de la difficulté de notre métier de syndic.
Mais il est passionnant !
Aileen Orain – Gestionnaire Copropriéts
(Interviewée par Claire Chamarat – Solidcom )
Le mot de Stéphane Pujol
L’investissement exceptionnel d’Aileen prouve tout d’abord que la réglementation seule ne résout rien si personne n’est décidé à la faire appliquer coûte que coûte et à porter ce type de dossier à 100 %.
Cette notion de coût n’est pas un vain mot : si Aileen avait dû facturer le temps qu’elle a passé à relancer, à secouer, à menacer, ainsi que le temps psychique à porter le dossier, à s’inquiéter… Elle aurait dû multiplier ses honoraires par cinq, par dix !
Elle a décidé de ne pas le faire, et nous l’avons soutenue dans son choix parce que nous nous étions engagés en connaissance de cause sur cet immeuble.
Pourtant nous n’aimons pas les rues en pente et l’eau qui ravine les sous-sols, les balcons qui flanchent, les fissures en escalier…
Mais nous aimons les copropriétaires responsables, conscients des difficultés et prêts à nous suivre pour les résoudre.
Reste également que quand un gestionnaire est surchargé, il n’est pas question de s’investir autant que nécessaire. Ce ne sont pas les % de 2 % 3 % ou 4 % qui permettent de ne pas perdre d’argent dans ces travaux complexes. Au-delà de la compétence du gestionnaire et de son savoir-faire, cela pose une fois de plus la question de la rémunération des syndics par les copropriétaires.
Quand une copropriété enchaîne les syndics qui n’ont pas le temps, cela amène à des situations inadmissibles dont les événements de la rue d’Aubagne sont une terrible démonstration.
Le mieux n’étant pas toujours l’ennemi du bien, on pourrait aussi souhaiter ne jamais avoir à entreprendre des travaux aussi conséquents: obligations contraignantes d’entretien et de financement rapidement applicables, traçabilité des travaux, des factures et des assurances des entreprises, des arrêtés de péril sur les 10 dernières années… Nous attendons désespérément un sursaut.
Parce qu’il n’y aura pas toujours une Aileen pour tenir la copro (et ses voisines) debout.
Stéphane Pujol
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