Encadrement des loyers à Marseille : une idée contreproductive ?

Le 27 novembre dernier, la visite de la Ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, à Marseille, a été une parfaite illustration de la décorrélation qui existe entre les enjeux politiques et la réalité du terrain.

Citée par la journaliste Yasmine Sellami dans Marsactu, la Ministre déclare entre autres que « Marseille est carencée en logements, les logements sociaux et les logements tout court ». Elle vient en appui à la Ville et sa nouvelle majorité, qui a l’encadrement des loyers dans sa hotte de promesses électorales. Car tous sont persuadés que cela risque de mener à l’augmentation des prix des locations. Sauf la Métropole, qui, sur fond de différend politique, ne partage pas beaucoup les avis de la Mairie en général, celui-ci pas plus que les autres.

Voici comment un sujet essentiel à la vitalisation de notre ville est survolé, utilisé à des fins déclaratives et des guéguerres partisanes. Alors que quiconque connaît le terrain peut témoigner de la particularité de l’évolution du prix des loyers à Marseille, et sait que c’est une idée contreproductive de procéder à leur encadrement à l’heure actuelle.

 

Evolution du loyer moyen par type d’appartement au 3e trimestre 2020

Cette vieille peur que les loyers augmentent à Marseille…

 

C’est comme une ritournelle. À Marseille, depuis toujours – en tout cas depuis 1995 que j’exerce en tant qu’agent immobilier – j’entends que les loyers vont augmenter. Je l’ai entendu lors de la « réhabilitation » du panier, du PRI… Il y a même des investisseurs qui ont parié sur la « gentrification » de notre ville, rue de la République en tête. Oui vous en riez. Nous aussi.

En réalité, les politiques nous annoncent des hausses de loyers qui ne se produisent jamais. Cela fait 40 ans que les loyers à Marseille n’ont pas connu de hausse au-delà du pouvoir d’achat, et 20 ans qu’ils ne suivent même pas la hausse de l’inflation.

Voilà des chiffres qu’il serait bon de regarder et de comprendre avant de se lancer dans des décisions hâtives qui peuvent jouer contre de vraies urgences, et notamment la lutte contre l’habitat indigne, la restauration du centre-ville et sa revitalisation.

 

Pourquoi les loyers n’augmentent pas à Marseille ?

 

Qu’est-ce qui rend notre ville si différente des autres Métropoles nationales ? Pourquoi nos politiques tombent-ils tous dans le piège ? Nous, professionnels des métiers de l’immobilier, on le sait. Il aurait même suffi de nous le demander.

A Marseille comme dans les autres grandes villes, les loyers dépendent avant tout des revenus des locataires. Et ces derniers n’augmentent pas. Notre ville n’est pas riche, elle affiche un taux de pauvreté de 22 %, avec plus de 40 % des ménages qui vivent des aides de la Caisse d’allocations familiales. Les biens dont les loyers sont trop élevés ne trouvent pas preneur, et restent donc dans la plupart des cas inoccupés. Les propriétaires préfèrent donc diminuer un peu leur rente, au risque sinon de la perdre complètement.

 

Les effets pervers d’un encadrement des loyers

 

2ème ville de France, Marseille est 9ème au classement des grandes villes, en termes de prix au m². Un jour peut-être cet encadrement deviendra une nécessité, mais nous en sommes loin. Les propriétaires et investisseurs aujourd’hui doivent avoir confiance dans leur choix, suffisamment confiance pour qu’ils puissent engager des travaux de rénovation et mettre sur le marché des logements de meilleure qualité.


Source Le-Partenaire.fr , mars 2020

Or annoncer un encadrement des loyers va avoir exactement l’effet inverse de celui attendu. Si vous ne pouvez augmenter les loyers quand vous engagez des travaux, pourquoi engager des travaux ? Dans notre ville où l’habitat indigne a déjà fait directement 8 morts, c’est presque du cynisme.

Encadrer les loyers, c’est pénaliser directement ceux qui font le plus de travaux dans leurs appartements, ceux qui sont toujours d’accord pour améliorer leur bien, ceux qui peuvent investir. Pourquoi les pénaliser ? Ils ont pour locataires des gens satisfaits et solvables, pourquoi vouloir punir tout le monde ?

Au contraire, quelques « mauvais » propriétaires, ceux qui laissent les immeubles basculer dans la vétusté, vont voir là un encouragement à leur démarche. À l’heure où Marseille a cruellement besoin de sortir de cette indignité.

 

La seule priorité : la rénovation

 

Avant de songer à limiter l’augmentation des loyers, il faudrait déjà que les biens soient plus attractifs et que les futurs locataires aient envie de s’installer. Pour cela, que ce soit dans le centre-ville ou dans certains quartiers bien identifiés, les politiques doivent trouver des solutions pour impulser un rythme de rénovation, un tempo avec carotte et bâton pour ceux qui trichent.

Commençons par le début, et montons des projets pour (re)faire circuler la vie dans notre ville, mixer nos quartiers et nos immeubles, fluidifier et adoucir les déplacements, pour que notre centre (re)devienne un lieu dynamique et attractif.

Parallèlement, il faudra s’attaquer à la question de la découpe et de la « airbnbisation » de notre ville. Et il faudra aussi beaucoup d’éducation des propriétaires. Nous constatons une évolution des mentalités, mais il y a encore de grosses difficultés, de nombreux immeubles en perdition et de nombreux propriétaires à convaincre, et à aider.

 

 

Nos immeubles et notre ville ont donc besoin de compétences, de bonnes volontés et d’argent. Pour ma part, je suis convaincu que les responsables politiques doivent cultiver et encourager la responsabilité des propriétaires. C’est là qu’ils seront les plus utiles : en contraignant, en contrôlant l’état des immeubles et des appartements, ceux qui n’ont pas reçu les investissements prévus, ou ceux qui n’ont jamais été suivis.

Il faut également venir en aide aux propriétaires qui n’ont pas eu les moyens d’engager des rénovations souvent trop repoussées. Tous les propriétaires ne sont pas de vulgaires marchands de sommeil, il y a aussi une quantité importante de propriétaires modestes, qui ont été mal informés ou qui sont victimes de blocages dans leur immeuble et font face aujourd’hui à des montants d’investissements insoutenables.

Je pense que nos politiques doivent prendre toute la mesure la difficulté de la rénovation dans notre ville et travailler dans le détail et en coopération. C’est moins facile qu’une mesure idéologique, mais c’est à ce niveau que ce sera utile : faire comprendre qu’il y a des sanctions, qu’il y a une obligation d’entretien des immeubles, qu’il y a des règles et que cela est suivi et contrôlé.

Nous, les syndics et administrateurs de biens, sommes déjà les agents de ce changement, tous les soirs dans les assemblées générales. Nous faisons ce travail d’éducation et nous avons besoin du soutien politique pour initier des changements concrets, et sans doute urgents.

 

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